from Le Monde, le 27-08-2025
Économie
Droits de douane
Les droits de douane sont-ils bons pour la planète ?
En France, la moitié des émissions de gaz à effet de serre provient des importations. Les droits de douane, en réduisant le commerce mondial, vont-ils donc améliorer l’empreinte carbone ? Pas si simple.
Par Eric Albert
Le climatosceptique Donald Trump, celui-là même qui a, une nouvelle fois, sorti les Etats-Unis de l’accord de Paris visant à limiter le réchauffement climatique, fait-il – sans le vouloir – du bien à la planète ? La question est évidemment provocante. Mais avec le grand retour des droits de douane, elle revient en boucle, notamment chez les lecteurs du Monde : les barrières douanières, qui mettent un coup de frein à la mondialisation, ne sont-elles pas une bonne nouvelle pour l’environnement ?
« C’est une très bonne question, répond Lionel Fontagné, professeur d’économie à la Paris School of Economics et directeur de l’Institut des politiques macroéconomiques et internationales, spécialiste des questions de commerce. Depuis un quart de siècle, on a constaté une très rapide augmentation du commerce et, en même temps, une très forte hausse du CO2 dans l’atmosphère, et l’on a forcément envie de faire le lien. » Est-ce pertinent ?
Commençons par la conclusion, partagée par la grande majorité des économistes, de gauche comme de droite : s’attaquer à la mondialisation réduirait effectivement l’empreinte carbone mondiale, mais ce n’est vraiment pas la meilleure façon de s’y prendre, le coût d’une telle politique étant démesuré si l’on veut conserver le même niveau de croissance économique et d’emploi. « Réduire le commerce mondial serait une façon extrêmement coûteuse de lutter pour l’environnement », continue M. Fontagné. Pour lui, adopter des politiques climatiques – encourager les énergies renouvelables, faire payer le CO2 aux entreprises… – serait beaucoup plus efficace et moins cher.
Mathilde Dupré, codirectrice de l’Institut Veblen, un groupe de réflexion économique consacré à la transition écologique, bien que très critique de la mondialisation, va dans le même sens : « Si la politique de Trump provoque un ralentissement général de l’économie, on observera une baisse de l’exploitation des ressources, mais ce serait comme pendant la pandémie : un prix très élevé à payer et une façon inefficace de procéder. »
« Les droits de douane ont sans doute un rôle à jouer, mais pas ceux de Donald Trump », ajoute Maxime Combes, économiste à l’Association internationale de techniciens, experts et chercheurs (Aitec), qui s’est notamment battu contre l’accord de libre-échange de l’Union européenne avec le Marché commun du Sud.
« Mettre en place la loi du plus fort, comme le président américain le fait, ne va pas aider les politiques climatiques », assure-t-il. En clair, même pour la planète, il n’y a guère lieu de se réjouir de ce grand retour du protectionnisme.
La mondialisation représente le quart des émissions de gaz à effet de serre
Un tee-shirt à quelques euros arrivé en avion de Chine et livré par les plateformes Shein ou Temu. Des haricots transportés du Kenya. Comment ne pas réagir face à ces exemples d’une telle mondialisation débridée ? En matière d’émissions de gaz à effet de serre, le commerce mondial est effectivement un poids lourd. « Le chiffre à retenir, c’est que le quart des émissions mondiales vient des biens qui sont échangés à travers le monde », souligne Lionel Fontagné. Cette statistique comprend l’addition des émissions provenant de la production de ces marchandises et de leur transport.
La France, pays fortement désindustrialisé et utilisant une électricité bas carbone, n’est évidemment pas une exception. Son empreinte carbone provient désormais majoritairement des importations : en 2023, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques, 56 % des émissions de gaz à effet de serre de tout ce que nous consommons ont été produites à l’étranger, à commencer par l’Allemagne et la Chine.
Pierre Cotterlaz et Christophe Gouel, deux chercheurs du Centre d’études prospectives et d’informations internationales, ont mesuré l’impact du commerce mondial sur les émissions françaises. Ils mettent en évidence l’influence grandissante de la Chine depuis un quart de siècle. En 2000, les importations chinoises représentaient 3 % de l’empreinte carbone française ; huit ans plus tard, ce niveau avait presque triplé, à 8 %. Et, comme la consommation totale de la France avait progressé pendant ce temps-là, les émissions importées de Chine ont même triplé sur cette période. « Pendant cette grande phase de l’émergence de la Chine, la France a remplacé une production locale par des produits plus polluants », conclut M. Gouel. Depuis 2008, la part de la Chine dans l’empreinte carbone de la France s’est cependant stabilisée. Elle demeurait à 8 % en 2022.
Inversement, le commerce mondial peut parfois réduire la pollution. C’est le cas quand la France, avec son électricité décarbonée, exporte vers les Etats-Unis, où les énergies fossiles sont prédominantes dans le mix électrique. C’est aussi le cas quand elle importe des panneaux solaires à bas coût de Chine, rendant cette technologie abordable.
Le transport, un impact relativement limité
Si le commerce mondial est source de pollution, le transport des marchandises n’est, en revanche, que partiellement responsable du problème. « Ce qui compte vraiment, c’est la façon dont les produits sont fabriqués, beaucoup plus que le transport, explique M. Gouel. Bien sûr, des haricots verts qui poussent au Kenya et sont importés par avion, ce n’est pas bon. Mais quand il s’agit de porte-conteneurs plutôt que d’avions, l’empreinte carbone est limitée. »
Selon l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le transport international des marchandises représente quand même 7 % des émissions totales de gaz à effet de serre. Une grosse moitié provient des camions, un gros tiers des bateaux et le reste, un peu moins de 10 %, des avions, selon le Forum international des transports.
Les monstres des mers que sont les porte-conteneurs – ils mesurent jusqu’à 400 mètres de longueur – fonctionnent avec l’un des carburants les plus polluants, tellement visqueux qu’il faut le chauffer avant de le brûler. Mais ils transportent de telles quantités que l’empreinte carbone de chaque marchandise est limitée. « Le commerce maritime est très efficace, résume Lionel Fontagné. Il émet beaucoup moins par tonne transportée que le transport routier et, évidemment, que le transport aérien de marchandises. »
En conséquence, de nombreuses études concluent que les circuits courts ne sont pas nécessairement les moins polluants. En 2013, quatre chercheurs de l’Institut d’écologie sociale de Vienne et de l’Institut de recherche pour l’agriculture biologique d’Autriche ont comparé les émissions de CO2 de tomates provenant de quatre sources différentes dans un supermarché de la capitale, Vienne. Les premières poussaient localement, mais dans des serres chauffées ; les deuxièmes localement également, de culture bio ; les troisièmes provenaient d’Espagne et poussaient sous des tunnels plastiques non chauffés ; les dernières, destinées à des conserves, provenaient d’Italie et poussaient en plein air. La conclusion : les plus polluantes des quatre étaient les premières, locales mais en serres chauffées, produisant 1 400 grammes de CO2 par kilogramme.
Les tomates importées d’Espagne et d’Italie, même en tenant compte du transport et de l’emballage, émettaient entre une fois et demie et deux fois moins. Les plus propres, de loin, étaient les tomates locales bio, dont l’empreinte carbone était sept fois moindre… mais elles ne sont disponibles qu’une partie de l’année, ne pouvant pas pousser en hiver en Autriche. « Le problème est de savoir pourquoi on mange des tomates en plein hiver, réplique M. Combes, de l’Aitec. Est-ce qu’on ne peut pas trouver une alternative et manger en fonction des saisons ? »
Calculer le coût de la démondialisation
La base est désormais posée : le commerce mondial pollue – le quart des émissions mondiales –, mais cela ne provient majoritairement pas du transport. Dès lors, quels seraient les gains environnementaux d’une démondialisation ?
L’économiste américain Joseph Shapiro a été l’un des premiers à essayer d’y répondre. Dans un article de 2016 qui a fait date, il tente de construire un contre-modèle où les pays vivraient en autarcie. Ils ne consommeraient pas moins ni différemment, mais toute la production serait relocalisée. Sa conclusion : un tel monde, sans commerce, réduirait les émissions de gaz à effet de serre de seulement 5 %.
Mais une telle politique serait une catastrophe économique, qu’il chiffre à une perte de 5 500 milliards de dollars (4 725 milliards d’euros), soit environ 7 % du produit intérieur brut (PIB) mondial de l’époque. Deux raisons principales expliquent cette perte financière : la fin des effets d’échelle de la mondialisation (la production peut être centralisée, donnant lieu à des économies) et des effets de composition (les régions se spécialisent en fonction de leurs avantages comparatifs).
Lionel Fontagné a réalisé avec l’économiste Jean Fouré un travail similaire en 2017. Il a essayé de simuler non pas un retour à l’autarcie, mais une simple stagnation du commerce mondial. Il a calculé pour cela qu’il fallait augmenter les droits de douane mondiaux à 17 %. Ses conclusions vont dans le même sens : une telle politique réduirait les émissions de CO2 mondiales de 3,5 %, d’ici à 2030, et provoquerait une réduction du PIB de 1,8 %.
Selon lui, la mise en place de programmes en faveur de l’environnement pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris serait bien plus efficace. Une taxe carbone généralisée, par exemple, si tant est qu’elle soit possible à appliquer à l’ensemble de la planète, réduirait les émissions de gaz à effet de serre de 27 %, et contracterait le PIB de 1,2 %. Autrement dit, le gain climatique serait supérieur, pour un coût économique moindre.
« Mener une politique climatique est bien plus efficace que d’imposer des droits de douane, conclut M. Fontagné. Le protectionnisme n’est tout simplement pas efficace pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. »
Le protectionnisme, une arme utilisable de façon ciblée
Rien de tout cela ne signifie que les outils du protectionnisme n’ont aucun rôle à jouer dans la lutte contre le réchauffement climatique. « Le problème, c’est que les règles de l’OMC, ou celles des accords commerciaux, sont aveugles aux questions environnementales », souligne Mme Dupré, de l’Institut Veblen. Le climat et l’environnement sont souvent les grands absents de ces accords, qui ne les mentionnent presque pas.
Pire encore, selon une étude de 2020 de Joseph Shapiro, les industries les plus polluantes bénéficient souvent des droits de douane les plus faibles. Cette année-là, les briques ou les engrais azotés, parmi les produits les plus émetteurs de CO2, s’acquittaient, par exemple, de droits de douane mondiaux négligeables, autour de 0,01 %.
Ce « biais environnemental » n’est évidemment pas une politique volontaire, souligne M. Shapiro. Simplement, les gouvernements ont toujours eu tendance à protéger davantage les filières de produits finis (les automobiles, par exemple) que celles des composants de base. Ils taxent donc plus les industries à haute valeur ajoutée, moins polluantes, que celles qui produisent les matériaux de base.
Sur cette base, Maxime Combes estime qu’il faut introduire des règles environnementales dans les accords de libre-échange : « On ne peut pas mettre un secteur économique européen en libre concurrence avec le reste du monde tout en lui imposant des normes environnementales avancées. » Selon lui, des droits de douane ciblés peuvent faire partie de l’arsenal à utiliser. Cela peut être le cas sur l’acier notamment, où il est très difficile de verdir la production européenne si elle est en concurrence avec celle provenant de Chine.
Dans cette logique, l’introduction en 2026 d’une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne est souvent applaudie par les économistes. « Il suffit d’exiger que tout importateur ayant émis du CO2 hors d’Europe pour produire et transporter des produits consommés en Europe paie notre prix du carbone, écrit, dans un livre à paraître le 3 septembre, Economie de l’(in)action climatique (Presses universitaires de France), Christian Gollier, directeur de la Toulouse School of Economics. C’est équitable, incitatif à la décarbonation auprès de nos partenaires commerciaux, compatible avec les règles de l’OMC. »
La mise en place de ce mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, qui entrera en vigueur en janvier 2026, relève cependant du cauchemar logistique et reste controversée par les conséquences pour les acteurs européens de l’annulation des quotas gratuits qui l’accompagne. Mesurer les émissions de CO2 des produits fabriqués à l’étranger est difficile, sans même évoquer les fraudes. Changer les règles commerciales pour y inclure l’environnement est loin d’être gagné. Mais ce n’est pas la méthode de Donald Trump qui le permettra.
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In North America, Labor Day was originally meant to celebrate Organized Labor. Well and good.
But at this point in time, it is really celebrated as a wrap-up to Summer. School starts next week,
we glide toward colder times... To my mind, a nostalgic holiday. Want to grovel in it!? Below, a clip
from Indochine thinking back to how great a French summer is. It was shot from La Défense, Paris'
business district!
HAPPY LABOR DAY TO ALL!
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